2/29/2012

Le plus beau livre du monde

Lettre de Richard B. à Jim H.
Paradise Valley, Montana, 1961

Mon délicieux petit mec,
Depuis le succès de la pêche à la truite, je rencontre toute sorte de jeunes filles grandes et belles comme un ruisseau de Paradise Valley. Les gens sont différents. De nombreuses possibilités s’offrent à nous.La nuit dernière j’étais avec une de ces filles. Nous étions allés au sommet d’Indian Creeck regarder la lune et tester des choses. Inutile de te dire qu’elle en tenait une bonne. Je ne sais pas ce que ces belles filles ont besoin de prendre pour croire n’importe quoi en me tenant la main. Toujours est-il que nous étions là haut. La nuit brillait comme des yeux et un léger vent nous rendait l’impression d’être purs et sauvages. Il n’y a rien de tel que de faire l’amour au sommet d’une montagne. Son cul se reflétait dans les étoiles.Tu vois mon ami  les miracles que la Poésie et l’Amérique nous offrent. La nuit fut belle. Elle est passée tranquillement. Cette belle fille ne se rhabillait pas. Elle buvait et elle riait avec la peau argentée d’une sirène. Lorsqu’elle a commencé à me parler de littérature j’ai d’abord pensé : Tu vois, enfoiré de connard de merde l’enfer c’est ça ou se retrouver dans les flammes avec un bocal de cornichons dans le cul. Et là mec le miracle s’est produit. Il faut que je te parle de ça. Cette belle fille nue sous la lune au sommet d’Indian Creek qui commence à me parler de littérature, complètement défaite. Elle n’arrivait plus à tenir debout et rampait sur la couverture pour se rapprocher du feu. Et puis elle a commencé à parler de Charles Baudelaire et puis de ce type là, le japonais Issa. Je regardais le reflet des flammes sur la peau de son ventre et elle a continué à me parler de poésie mec, et je me suis mis à l’écouter, et je ne sais pas si c’est cette herbe ou le whisky et la tequila ou la lune ou son cul de sorcière mais je buvais ses paroles mec, elle m’hypnotisait comme un démon. Au bout d’un moment elle m’a demandé si je connaissais ce bouquin là, La Culture de Fleurs à la lueur des bougies dans une chambre d’hôtel, de Mister Charles Fine Adams. Et moi bien sur de lui répondre que j’avais jamais entendu parler de ce mec et que son nom me faisait penser à Jack l’éventreur ou à un colonel sudiste. Et elle de me dire, mais non sérieusement ne rigole pas ce livre c’est le plus beau livre du monde. C’est un livre qui peut ressusciter un essaim d’abeilles pris dans la glace. C’est un livre qui devrait servir de brique pour construire une ville parfaite où tout ne serait que paix, amour et cascade fraîche pour toutes les races de tous les temps de toute la terre. Et moi je vois bien qu’elle s’emballe et je lui dis Ok ok, écoute il a l’air super ton bouquin mais c’est qu’un livre tu sais, un livre ça vaut pas la larve d’une puce dans l’aile d’un oiseau.
Alors elle commence à parler plus vite, je te jure on était seul au milieu de la montagne, même les coyotes ronquaient depuis belle lurette, et elle se met à parler vite et fort comme si ses mots devaient devenir un train à grande vitesse sur les rails de ma cervelle. Et elle se lève et elle agite les bras, et ses yeux deviennent deux serpents d’or qui veulent brûler ma langue et elle pleure presque et elle me dit que ce bouquin c’est l’aube et les étoiles, c’est le seul avenir de l’humanité, c’est une nouvelle religion enfin juste et belle, c’est la meilleure de toutes les drogues, c’est le secret du dragon sacré du Mexique, c’est le déluge et la recette du meilleur pudding de pomme de toute la pute de sainte création. Et puis elle s’énerve et me dit que si on additionne toutes les lettres de tous les mots de toutes les phrases de tous les livres de l’histoire des livres et bien toute cette merde ne vaut pas le premier mot de la première phrase de ce bouquin. Et elle me lâche que j’ai rien compris et que les livres ne sont pas des pansements ou des médicaments mais bien des glaives de lumière qui pourfendent le lac obscur de l’humanité. Et elle me dit que finalement je suis vraiment une merde. Et elle s’en va comme ça toute nue au milieu de la nuit à travers les bois en me regardant comme si je venais d’ouvrir le ventre d’une magnifique portée d’aigles royaux et de m’essuyer le derche avec.
Putain mec j’ai jamais vu ça !
Est ce que tu as déjà entendu parler de ce bouquin toi ?... 

Rb.



Note: La Culture de Fleurs à la lueur des bougies dans une chambre d’hôtel, de Charles Fine Adams, est cité par Richard Brautigan dans sa bibliothèque imaginaire de L'avortement...
Richard Brautigan et Jim Harrisson étaient vraiment de bons copains...
Le reste... C'est des histoires...

(Paru en 2010 dans la revue Décapage n° 40.)

4 commentaires:

Cédric a dit…

J'ai compris que "c'[était] des histoires..." quand j'ai reconnu vos coquilles disséminées dans le texte, je ne vous en fais pas la liste, elles ont leur charme...

Vous êtes un écrivain, cher Thoams, dont les coquilles ont leur charme (c'est d'ailleurs écrit dans votre pseudo).

Pas mal comme métier : inventeur de livre. ( http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_fictional_books )

thoams a dit…

J'ai des lacunes et je ne suis pas prof de français. j'écris.

Stéphane Bernard a dit…

Bravo, Thomas ! J'ai tout de même jeté un œil sur le net, au cas où un tel livre existerait... Ça rend dingue des trucs pareils. (Faudra plus me faire ça... Mais si, encore.)

Olivier Dalmon a dit…

… et ce matin, j'ai pris mon coupe-ongles et je me suis taillé un beau sourire en biseau parce qu'en fin de nuit, après le rêve où ma sœur prenait des risques en nageant loin après que j'ai vu un animal sous-marin étrange mi-poisson mi-tatou passer devant elle, j'ai fait celui de Thomas Vinau venant au IIème Journées Brautigan, dans mon petit Buëch … en fait, il ne savait toujours pas s'il devait y aller ou pas… mais dans le doute, il avait fini par se dire que, tel "la fourmi traversant l'orbite oculaire vide du poisson mort" ou la truite nichant entre les cotes de l'élan noyé, c'était finalement une bonne place pour être, l'espace d'un moment…