5/07/2013

L'oiseau sans nom

La nuit me pique les yeux. Quand j’arrive chez moi, les apparences se sont endormies. Il ne reste que la grouillance invisible qui gigote dans les décombres du temps. La nuit est un chuchotement. elle lave mes oreilles des déchets bruyants du jour. Grands coups de jets d’eau froide et de savon sous le tuyau d’arrosage du jardin. Je ne dois pas faire de bruit. Je dois me nettoyer longtemps dans la nuit. Elle me lèche, langue râpeuse, comme une chatte qui nettoie ses petits. Je crois pouvoir dormir. Je crois y avoir droit après tout ce temps perdu à obéir aux hommes, mais non, bien sûr que non, car c’est le moment que choisi l’oiseau sans nom pour planter ses clous dans la nuit. Tous les autres oiseaux dorment depuis longtemps. Certains sont déjà morts d’avoir trop attendu. Certains ont renoncés à construire leurs nids, ils traînent sur les branches comme des enfants perdus. Mais notre oiseau sans nom plante ses cris comme on construit charpente pour étayer nos insomnies. C’en est un qui n’aime pas que les aiguilles tournent dans le sens des montres. C’en est un qui, s’il était un homme, boirait trop de whisky. Il me ressemble, cet oiseau sans nom, il est mon reflet dans les yeux vitreux de la nuit. Nous nous retrouvons tous les deux, au fond froid du silence, pour explorer l’obscurité par le bout nu de nos orteils. Je voudrais le garder derrière mes paupières pour faire des clins d’oeil aux passantes lorsque la vie recommencera. Je voudrais qu’il soit mon complice. Si je connaissais son nom de scène, je passerais un pacte avec lui, pour qu’il me lave les cheveux le soir en rentrant de l’usine, qu’il effraie les politiciens et les assiettes vides. Il pourrait se nourrir de toutes mes prétentions. Nous habiterions une fenêtre immobile et tranquille, une ère de repos pour nuages, à égale distance du dehors et du dedans. Je couperais ses planches, il planterait mes clous, nous construirions ensemble des silhouettes mélancoliques pour les chambres d’enfant. Nous les peindrions à son image. Pas besoin de connaître son nom. Son nom ne servirait à rien, mais ses yeux me serviraient de lampe de poche pour atteindre demain.

(un extrait du Journal de bord d'une installation précaire qui paraîtra retravaillé dans le prochain numéro de la revue Décapage)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Très émouvants ces mots...

la Mère Castor a dit…

Je connais cet oiseau et ses yeux en lampe de poche. Magnifique texte.

S. a dit…

Ahhhh DECAPAGE ...