6/08/2013

L'instant rouge




Il ressent déjà, en posant son pied haut sur le tronc, ce petit mélange délicieux de peur et d'excitation qui précède les grandes douleurs et les grandes jouissances. Il se hisse et il se sent fort. Il est debout sur la fourche de l'arbre, au dessus de la terre des hommes, et les cerises tendent vers lui leurs joues rouges. La lumière verte, mélange de soleil et d'ombre filtré par la chlorophylle, donne un nouveau parfum à sa peau.  Il cueille. Il goûte. Il croque. Il avale. Il cueille. Il goûte. Il croque. Il avale. Et il n'y a plus d'autre réalité que le jus sucré qui dévale à l'intérieur et à l'extérieur de sa bouche. De temps en temps, il oublie le vertige, frôle la chute, se reprends, cherche une autre branche. Plus il monte et plus elles sont belles. Il se retrouve en équilibre, plus ou moins précaire, une main tendue vers le ciel, l'autre ramenée vers la poitrine en panier pour stocker le maximum de victuailles, un genou en appuie sur une branche, barbe rose et collante autour de la bouche. Il ne sait pas à quel point toute sa vie se retrouve et se retrouvera dans l'instant vert de cette lumière verte, dans l'instant rouge taché de sucre, à risquer la chute, genou abimé, une main pour se rattraper n'importe où et l'autre saturée de petits fruits qui tombent.

Texte lu hier par Marie (pleine de grâce) Richeux, sur France culture dans le Polaroïd de l'émission Pas la peine de crier. à réécouter là  (entre la 12iem et la 16iem minute, mais le reste est bien aussi) 

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