[…] La littérature tout entière est un effort pour rendre la vie bien
réelle. Comme nous le savons tous, même quand nous agissons sans le
savoir, la vie est absolument irréelle dans sa réalité directe : les
champs, les villes, les idées, sont des choses totalement fictives, nées
de notre sensation complexe de nous-mêmes. Toutes nos impressions sont
incommunicables, sauf si nous en faisons de la littérature. Les enfants
sont de grands littérateurs, car ils parlent comme ils sentent, et non
pas comme on doit sentir lorsqu’on sent d’après quelqu’un d’autre… J’ai
entendu un enfant dire un jour, pour suggérer qu’il était sur le point
de pleurer, non pas « J’ai envie de pleurer », comme l’eût dit un
adulte, c’est-à-dire un imbécile, mais : « J’ai envie de larmes. » Et
cette phrase, totalement littéraire, au point qu’on la trouverait
affectée chez un poète célèbre (s’il s’en trouvait un pour l’écrire), se
rapporte directement à la chaude présence des larmes jaillissant sous
les paupières, conscientes de cette amertume liquide. « J’ai envie de
larmes » ![…]
Fernando Pessoa, Le Livre de l’Intranquillité, 117, Christian Bourgois
3 commentaires:
Très beau !
Merci du partage.
J'ai envie de sourires. :-)
;-)
C'est vraiment de plus en plus fou. Pessoa, Hopper, brindilles, broutilles... la lumière de la page, la nuit des mots... je suis chez moi mais tout est plus beau. Je continuerai demain, j'irai dans les archives, une lumière au casque pour ne rien louper et pouvoir me prendre des tas de vos textes sur la tête sans trop vaciller. Mais là... là faut que je me sauve, ça valdingue.
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