10/14/2014

Nos vies balayette

Je voudrais écrire chaque instant d'une seule journée. Chaque parfum qui colore les gens que j'aime. Tous les mots, les regards, les silences, les sourires qui nous traversent en même temps. Les contraintes, les colères, les non dits, les mensonges qui composent aussi nos moments. Je passe beaucoup de temps dans ma vie à ne pas écrire ce que je vis avec le sentiment de le perdre et de ne plus pouvoir le vivre. Un matin ordinaire, un réveil pressé, l'enfant aux yeux gonflés, le cauchemar de la nuit, nos élégances de chats mal léchés. La toilette de la belle, le déjeuner, la crotte, le trajet à pieds jusqu'à l'école, la course, les odeurs dans le froid du matin, les cailloux pointes de flèches, le petit bonhomme qui se coltine au monde, la bonté du bonjour, le regard en coin, la poubelle qui pue, la course sur le trottoir, la main derrière la vitre de l'école, la beauté de ma douce comme un arbre après l'orage, le dos rond du chien, le vent dans la bouche, le ciel, un mot échangé, à ce moment là il est 8h 30 du matin, la journée officielle commence. Juste pour écrire ce moment entre le réveil et le départ il me faudrait mille détails, mille mots, mille sens, mille livres. Il faudrait que je passe ma journée entière à écrire ce moment où la journée commence. Ce qui n'est pas possible. Alors je passe la balayette, je ramasse quelques miettes, leur beauté négligée, et j'en fais un poème.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

tu es pressé d'écrire
comme si tu étais en retard sur la vie
s'il en est ainsi fais cortège à tes sources
hâte-toi
hâte-toi de transmettre
ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
effectivement tu es en retard sur la vie
la vie inexprimable
la seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir
celle qui t'es refusée chaque jour par les êtres et par les choses
dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
au bout de combats sans merci
hors d'elle tout n'est qu'agonie soumise fin grossière
si tu rencontres la mort durant ton labeur
reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride
en t'inclinant
si tu veux rire
offre ta soumission
jamais tes armes
tu as été créé pour des moments peu communs
modifie-toi disparais sans regret
au gré de la rigueur suave
quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
sans interruption
sans égarement
essaime la poussière
nul ne décèlera votre union.

René CHAR, Comme une présence, que je me plais à orthographier ainsi, Comme une présence.

nosconsolations a dit…

«La poésie en dit long, et c'est vite fait, la prose ne va pas loin et prend du temps.» Charles Bukowski

Anne Le Maître a dit…

"Je passe beaucoup de temps dans ma vie à ne pas écrire ce que je vis avec le sentiment de le perdre et de ne plus pouvoir le vivre. "

Oui.

Mais la balayette fait néanmoins merveille.