5/14/2015

Jean-claude Pirotte


 

"De tous les livres que je n'ai pas lus, de tous ceux que j'ai lus, et de ceux que je n'ai pas écrits comme de ceux que je me suis échiné dans les nuits à écrire, il ne reste à l'aube qu'une langue de fumée autour de la lampe.
De même que reste-t-il des ivresses que l'on croyait les plus fécondes ? Et des plus obscures beuveries dans les coupe-gorge si vrais qu'ils en paraissent imaginaires ?
Venu du plus lointain de ma mémoire, j'écoutais hier, il y a des siècles, le mouvement large et lent d'un concerto de Locatelli, tandis que la vie ruminait ses plans absurdes avec l'air excédé des putains à qui l'ont promet trop, et qui n'ignorent pas que jamais aucune promesse ne transforme en voile immaculé le drap souillé du lit. Quelque part un chien réveillé par la tempête aboyait pour faire taire le vent, un enfant pleurait pour faire taire le chien, et l'arbre qui habite nos corps craquait, ce craquement soudain installait en nous le silence, et nous levions nos verres sans parler, nous ne savions pas encore si le petit matin commençait dehors à profiler la ville de son trait de fusain gris. Mais ce que nous savions de toute éternité, ce que nous pensions savoir de science immémoriale, c'était le goût des amours impossibles, qui n'entre pas pour rien dans l a composition des précieuses recettes nocturnes."

Jean Claude Pirotte La légende des petits matins

2 commentaires:

kwarkito a dit…

merveilleux Pirotte.... j'adore cette langue , cette justesse dans l'évocation; Une poésie tendre sans jamais être mièvre

Anne Le Maître a dit…

dito