4/05/2017

Panaï Istrati, Présentation des Haïdoucs, Libretto


" Reste donc, mais écoute ceci : le haïdouc n’est pas celui-là seul qui va dans la forêt. En ville, parmi les gospodars, on peut être aussi bien haïdouc et révolté que l’homme qui vit « dans le cerveau des monts », mais à condition d’être faux avec les grands et sincère avec les opprimés. Tu sais être fausse et sincère : va donc, tâche d’aller au milieu des loups, hurle avec eux, observe leurs habitudes, connais bien leurs faiblesses et après, tire-leur dans le dos et fais du bien au peuple, venge-le ! Autrement dit, aide-moi ! Tu es plus intelligente que moi, plus fine, plus rusée, et belle femme par-dessus tout. Fais donc comme moi : sacrifie ta jeunesse, comme je sacrifie la mienne ! Le peuple est laid et lâche parce que tout ce qui se lève de son sein devient laid et lâche. Les bons ne se lèvent jamais. Jamais, depuis le Zapciu Janco Jiano et le sluger Judor Vladimiresco, l’un, boïar de cœur, l’autre, paysan de cœur, tous les deux haïdoucs et révoltés, tous les deux traîtreusement assassinés, aucun homme ne s’est levé du peuple que pour mieux l’asservir. Les quelques haïdoucs qui sévissent par-ci par-là ne sont que des révoltés à vue étroite, et on parle d’eux comme de chapardeurs. Ils auraient besoin eux-mêmes d’un chef qui élargît leurs champs d’action. Il faut frapper haut ! Et non seulement les Grecs et les Turcs, mais aussi, mais surtout le boïar roumain. Si on peut excuser l’étranger de sucer le sang de notre pays, comment excuser le gospodar qui se fait l’instrument de l’oppresseur du dehors ? Voilà. J’ai attendu ce jour pour te dire dans quel but je t’ai poussée à apprendre à lire et à écrire, chez Joakime, et dans quel but je l’avais fait moi-même : les livres nous enseignent ce que notre intelligence seule n’est pas capable de nous faire pénétrer. Il faut connaître le passé et le présent, pour savoir quoi désirer dans l’avenir. Travaille donc, pour cet avenir meilleur. On n’apprend pas le grec pour garder les brebis. Fais ce que ta tête te conseillera. Tu es assez maligne. Avec un cheveu de sa chevelure, une femme peut pendre un tyran. D’un doigt posé sur une bouche, elle peut le faire parler ou taire. Sois cette femme-là !"

Panaï Istrati, Présentation des Haïdoucs, Libretto

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