4/27/2019

J'étais là


 (Le merveilleux voyage d'Hermés - Moebus)

J'étais là, ce matin, dans le lit, encore confit, toujours confus, à tenter d'attraper le monde par un bout, n'importe lequel, à me frayer un chemin dans mes perceptions comme un explorateur fiévreux au fin fond d'une jungle lointaine. J'étais là, un peu groggy, parfaitement myope, méchamment déshydraté, joliment ensuqué, clairement rouillé, tranquillement courbaturé, plaisamment disséminé dans le petit bordel sacré et ordinaire de mes rouages épars, de mes sensation confuses, entre des tronçons de mots, des éclats d'images, des nappes de lumière floue, des vagues de besoins physiologiques. Une pression à la vessie, une douleur dans les psoas, la scène d'un rêve qui s'éloigne en flottant, la douceur laineuse de l'aube qui traverse l'épaisseur sombre du rideau. Une question sur ce qu'il y aurait à faire aujourd'hui, une pensée à propos des enfants hier soir, une résolution sur le nombre de verres de vin, un chant d'oiseau mouillé. Une idée à creuser pour le roman, le mugissement d'une machine au loin, une échéance qui approche, un muscle à étirer. Mais surtout, surtout, le plus longtemps possible, l'attention minutieuse et concentrée à faire le moins de geste ou de bruit possible pour ne pas interrompre ton ronflement de caramel écrasé digne d'une bulle de bd de Franquin. J'étais là ce matin, à débarquer dans la conscience de ce qui fait ma vie exactement comme un naufragé sur une plage déserte, une plage immense et calme où la sable doux accueillerait les vestiges épars de son navire. Une plage inconnue et familière au dessus de laquelle de grands oiseaux océaniques striduleraient  dans le grand ciel orange leurs chansons nasales et préhistoriques. Une plage où l'horizon se relèverait chaque matin, le sourire dépeigné, en disant j'étais là.

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