4/20/2019

Mouna



Elle se relève harassée, rincée, essorée, après cette interminable traversée de rêves absurdes, de toux fiévreuse et de courbatures qui recommence chaque soir. Sa nuit sans fin. Elle s'assoie, bouffie et vaincue à la table encore encombrée de la cuisine. C'est un royaume de miettes, de restes, de déchets. Elle lance ses yeux au hasard, regarde sans regarder, cherche sans chercher, lutte sans bouger. Elle restera en robe de chambre jusqu'au passage de l'infirmière. Dehors il y a déjà les lignes parfaites du ciel, la couleur qui monte le long des arbres, les oiseaux vivaces, leurs ombres espiègles qui se déploient. Dehors  il y a les hommes debout. Ce n'est pas là qu'il faut chercher pour l'instant. Elle ne veut pas s'agrandir mais se rapprocher et s'accrocher. Son regard s'attarde sur les coquilles d’œuf cassées, la motte de beurre affaissée, les croutes de fromage, le miroir brisé des biscottes, la serviette tachée, la carafe vide, la vaisselle sale. Hier les enfants sont passés et, tous ensembles, ils ont fait une mouna. Dans les oranges pressées et décapitées on pourrait croire que le soleil se lève.  Pour l'instant elle reste là, dans ce paysage anodin et froissé, ce pays insignifiant, usé, souillé. Des souvenirs s'y cachent comme les ultimes effluves de fleurs d'oranger. C'est de là qu'elle part pour escalader le temps et affronter un jour de plus. C'est de là qu'elle part parce que c'est chez elle.

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