12/02/2019

Les cailloux blancs

Il tape ses bottes
pleines de terre
un feu d’artifice de boue
qui fait s'envoler
 les corbeaux
mon premier poème est né
*
De là où je suis
sur la moquette épaisse
et rouge du tapis
poussière crème
vapeur du fer à repasser
m'offrent l'odeur
de l'après midi qui passe
c'est mon second poème
*
Pour arriver
à la ferme du vendredi soir
il faut chanter dans la voiture
Il y a ma mère mon frère
et George Brassens
le troisième poème
*
En Guadeloupe
sur la balançoire
un enfant mâchouille
la maison verte du Monopoly
ses quatre sœurs rient
 je voudrais lécher
 leurs rires
voilà le quatrième
*
Nous jouons
En haut des chênes
il y a toujours
un voleur
un costaud
une rebelle
un lanceur de couteau
mon cinquième poème
ne veut pas descendre
*
Dans un lit
de soleil jaune
une pierre rouge
sur la mousse verte
je bande un sixième poème
*
Au collège
nous découvrons
une pièce secrète
derrière le mur des toilettes
chaque après-midi
nous creusons à plusieurs
un trou dans la paroi
pour nous enfuir
sans jamais y parvenir
là-bas se cache encore
le septième poème
*
Le monde est un hurlement
qui sent la charogne
je décide de me taire
cette fille
lit la biographie de Baudelaire
fleur noire
du huitième poème
*
Le neuvième poème
s'enfuit dans les livres
la fumée le silence
la fenêtre
rejoindre les complices de la nuit
*
A la fin
de la manif
une rousse pose
le dixième poème
sur ma bouche
*
Il y a de vraies clartés
toutes les faims toutes les forces
en notes de musiques
en films
en pertes en gaspillages
en rires volées au chronomètre
par l'insolence du onzième poème
*
Le douzième poème
a tenue tête
à la mort
d'un enfant
d'un amour
d'un ami
*
Treizième poème
est l'amoureux
savamment
gentiment
méticuleusement
perpétuellement
éconduit
*
Mon quatorzième poème
a peur
*
Mon quinzième poème
s'en moque
*
Le seizième poème dit merde
et merci
(pour toujours)
*
La fille me donne
un autre livre
une autre vie
un autre poème
le dix-septième
*
Le dix-huitième poème
creuse un trou
pour en boucher un autre
*
Je suis né à la naissance
du dix-neuvième poème 
*
puis je suis né à nouveau
à la naissance du vingtième
*
Le vingt et unième poème
est un petit feu
qu'il faut rallumer
chaque jour
*
Tandis que
le vingt deuxième
sait bien qu'aucun feu
jamais ne dure
 *
Le vingt troisième poème
tresse l'usure de vivre
en nid d'oiseaux
 *
Parfois un enfant
se cache dans le corps d'un vieillard
qui se cache dans le sourire d'un adulte
qui se cache dans le ventre d'un chien
qui se cache dans le murmure du vent
qui se cache dans la nuit
qui se cache dans le vingt quatrième poème
 *
Le vingt cinquième poème est resté au pays 
des graines qui ne germent jamais
des moineaux qui ne savent pas voler
des bébés incapables de naître
et des mots imprononçables
 *
Demain peut être
tu inventeras le vingt sixième
*
Une vie ça fait combien
de cailloux de naissances
de pertes de mensonges
de poèmes 
***

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