L’ombre
vient d’en bas. Je le sais. J’y habite. Avec les punaises d’eau
et les alluvions. Le mouvement de l’obscurité est ascensionnel.
Elle grimpe, escalade, tandis que la lumière descend. Elle monte
comme le fleuve et les choses qui vivent se tassent entre la pierre
du ciel et l’eau de l’ombre. D’ici, les arbres n’ont ni
couleur ni oiseau. J’ai cessé de ramer mais la barque continue de
s’éloigner tranquillement de la rive. Son balancement léger à
quelque chose de nauséeux et de sédatif, qui n’est pas
désagréable. D’ici, je distingue à peine que la maison est vide.
Les rideaux remuent quelques fois et je pourrais croire que quelqu’un
me regarde. Mais personne ne me regarde. Enfant, ma mère agitait ses
petits bras en de grands gestes larges pour me signifier que je
m’étais trop éloigné de la rive. Mon père montait sur le toit
et faisait sonner une cloche en fonte pour que nous rentrions manger.
Je voulais rester toute ma vie dans la barque. Sur le lac. Comme une
punaise d’eau. Jusqu’à ce que mon père m’apprenne qu’elles
ne vivaient que quatre mois. Quatre mois c’est court quand on a
treize ans. Aujourd’hui je sais qu’une vie est une vie. Que
l’ombre a recouvert la mienne. Et que je peux rester ici.
(ce texte fait partie d'un travail collectif de micro-fictions autour des superbes peintures de Jeremy Liron à paraître un de ces quatre chez Nuit Myrtide). Seconde salve. Les autres seront à découvrir dans le livre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire