10/16/2018

Walou



Il fait gris, pas un pet de lumière, matin immobile, feuilles trempées, à terre. Un jour à avoir les chaussettes toujours mouillées et à boire le café toujours trop froid. Depuis mardi dernier, soit une semaine tout rond, Walou, ma chienne, digne reine des bâtards de plus de quatorze printemps partait méchamment en sucette. Je l'ai retrouvée couchée dans son vomi de lasagnes faîtes maison, effrayée comme jamais, incapable de se lever, d'aligner trois pas sans tomber, avec les yeux qui jouaient sans cesse au ping-pong d'un côté et de l'autre de son vieux crâne blanchi et adouci par les ans. Le lendemain pas mieux, donc véto, verdict un truc dans la cervelle genre avc du chien, trop vieille pour chercher plus loin de toute façon, on teste la piqure mais bon... Les trois jours suivant ont pué lentement. ça aller un peu mieux niveau cervelle, mais impossible de se lever, à tanguer comme sur un radeau perdu, sans manger, sans boire et en se pissant dessus. Une poisse de tristesse dégueulasse envahissant peu à peu la maison. Chacun pleurant à son tour, moi si possible en cachette, à essayer d'être là pour rassurer la femme et les enfants. Avec ma douce, elle nous accompagne depuis le tout début de notre installation ici. Trouvée à deux mois dans un fossé plein de neige, croisement improbable avec des oreilles de fennec, un corps de renard une allure de loup cagneux, des chaussettes blanches de border collie. Un chien qui a peur du vent au pays du mistral. Cocktail improbable de folie et de douceur, de crainte et de tendresse. Mes enfants n'ont pas connu de monde sans Walou. Son dos rond de bête peureuse, ses immenses oreilles dressées et sa gueule pointue prête à sauver un bébé du fleuve de la pointe des dents avec la plus grande délicatesse de l'univers comme le loup du livre de la jungle, ses poils partout, ses remugles dans la salle de bain, sa vieille gueule de fennec des bois, toujours à venir cacher sa tendresse sur tes cuisses ou te lécher le coude dés qu'elle peut. Retour chez le vétérinaire, re-piqure, puisqu'elle ne bouffe rien et donc pas son traitement ; croquettes dures, croquettes molles, jambon crue, steak haché, poisson, un vrai trois étoiles de clébard, mais rien. On essaye encore mais je vous cache pas que si elle ne mange toujours pas en début de semaine prochaine, il va falloir vraiment penser à ... Et voilà, du mardi au mardi, une semaine merdeuse et glacée, à chialer en silence, à voir la peur dans ses yeux et la peine dans ceux des miens, à essuyer sa pisse et sa merde, à se demander si on l'empêche de se remettre en la piquant trop tôt ou si on l'oblige à souffrir en attendant encore. Une semaine à flotter dans cette eau croupie mentale qui sent la mort. Hier lundi, on décide ensemble, jour du verdict, prendre rendez-vous mardi, tant que les enfants sont à l'école. Je m'étais fait le plan dans ma sale nuit sans sommeil, appeler lundi après-midi, prendre rendez-vous mardi matin, puis passer la journée à jeter tout ce qui la concernait avant que tout le monde rentre, avoir le mercredi tous les quatre, ensembles, pour se retaper en préparant les vacances etc. Après avoir lu et tenté de bricoler une serre d'hiver (bricoler ! c'est dire si je suis perdu), l'heure est là, je prend mon téléphone et puis je me dis aller je vais tenter un dernier truc, j'appelle la chienne elle arrive devant sa gamelle et s'enfile goulument le jambon d'iorc coupé en morceau. La connasse ! Deux heures après idem, avec les cachets dedans. Hier soir idem. On appelle pas le véto. Ma douce achète trois tonnes de jambon cuit en rentrant du boulot. S'il le faut on la nourrira tout l'hiver avec du putain de herta cuit à la broche. Ce matin elle s'est boulotté un charal. On tiendra ce qu'on tiendra. Il fait gris, pas un pet de lumière, matin immobile, feuilles trempées à terre. Un jour à avoir les chaussettes toujours mouillées et à boire le café toujours trop froid. Ma serre s'est écroulée cette nuit. C'est une journée magnifique, je ne vais pas tuer ma chienne.

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