12/09/2020

I scream, you scream, we all scream for Ice cream (2)

Changer de chemin pour arriver au dépôt. Au plus court s'il est à la bourre et suivant la marge quelques détours. Toujours à pied dans le jour qui se lève, déjà qu'il est assis toute la journée. Et puis les fauteuils de bus c'est mauvais pour les lombaires à cause des micro-vibrations, même les nouveaux avec les ressors d'amortisseur. Marcher ça le dérouille. Le matin quand il part, la tête dans le cul, le bide plein de café, il est vide, ne pense à rien, et puis au fur à mesure des pas sur le trottoir, des coups de pieds dans les feuilles, des yeux dans les coins, sa tête se remplie de mots, parfois même d'histoire. Le soir c'est l'inverse, des nœuds de phrases dans son crâne à ne plus savoir qu'en faire, aiguisés, en morceaux comme du verre brisé. Et puis au fur et à mesure des pas, c'est comme un vent noir et calme qui nettoie tout ça. Jusqu'à cette forme de paix, de vide qui lui sert de couverture pour s'endormir. Il n'y a que trois nuages dans le grand ciel qui se lève. Trois touffes de la couleurs rose orangée des bonbons chimiques. Et puis la rognure d'orteil de la lune. Pas envie d'arriver au dépôt . Y'a la quête pour Salim aujourd'hui qu'a eu un accident à force de rouler seize heures par jour. Quelqu'un lui amènera à l’hôpital samedi. Paraît qu'ils veulent le virer, le sindic' doit se réunir. Il prend la route qui traverse les pavillons. Suivre les fossés mal taillés le long du canal lui donne l'impression de traverser un bout de campagne. Une rose d'hiver esseulée par dessus le muret laisse une douceur de cimetière. Deux, trois vieux promènent déjà leur souvenirs en forme de caniches. Il joue a bonjour-je-t'écrase. Un signe de tête, celui qui répond pas finira sous les roues du car. En imagination bien sûr. Le jeu ne l'amuse plus. Ce matin il se voit en eux, et ça lui fait peur. Il a peur de vieillir. Peur de ne pas vieillir aussi. Peur de mourir d'un coup, comme ça tout de suite. Ou d'agoniser longtemps. Peur d'oublier et d'être triste jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien d'autre en lui que sa tristesse. Une immense tristesse plate et grise comme la mer. Peur de devenir aveugle aussi. Peur de s'éloigner de son gamin. De se réveiller un jour en sachant qu'il s'est trompé de vie ou d'amour. Moins il a de rêve, de mots, de souffle et plus les peurs prennent de la place. De la plus logique à la plus débile. Les peurs c'est sa vraie famille. ça sent mauvais dans son crâne ce matin. ce doit être décembre, et Salim, ou un manque de vitamine, ou le film d'hier soir. Son œil accroche l'éclat artificiel d'une canette de boisson énergisante dans les herbes sales. Le temps de se rendre compte que c'est une canette, avant même de le formuler, il se retrouve par terre, le cul sur le trottoir à cause d'une flaque givrée. Sa chute est tellement grotesque, merdique, qu'il en rit au lieu de se mettre en colère. Il espère que personne ne l'a vu de sa fenêtre et se relève en gardant le sourire. La vigne fait des épis violets qui accrochent la lumière. Les cynorhodons brillent dans l'aube glacée. Une vague d'étourneaux passe dans le ciel.

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