5/31/2022

Un balcon en forêt

Il avance dans une forêt de mots. Se prend les pieds dans des lianes de phrases, s'accroche, tombe, trébuche, recommence. Il progresse patiemment, suit les détours, pose un pas devant l'autre, s'enfonce dans la matière spongieuse, s'imbibe aux coins d'ombres parfumés du petit jus sucré et âpre des décombres écrasés dans l'humus fouillé, fouaillé, qui l'enserre et l'inonde. Emmiellé des sueurs de l'histoire, des odeurs du monde, de chacune des étranges et envoutantes petites secrétions secrètes du vivant. D'autres fois il s'écorche aux aspérités neuves, s’essouffle, s'agrippe, s'emmêlent aux noeuds des ronces, se cogne. Tantôt terrorisé comme gibier blessé devant les remugles fétides de la mort. Tantôt ensorcelé, brûlant d'amour et de fièvre, attendri ou pris de l'énergie quasi folle d'un rire désespéré. Toujours il se perd et se laisse perdre, jusqu'au sentiment d'être enfouie presque, enseveli, gavé et repu, sans ne plus rien savoir du dessus ni du dessous, du dedans ni du dehors, de l'ici ou de l'ailleurs sans ne plus rien comprendre. Chaque sens salé, brouillé, flouté, enivré, parfois jusqu'à la nausée, jusqu'à atteindre cette confusion tiède et sombre de l'épuisement, de la dissolution de tout ce qui est à résoudre, de l'effacement du temps et de l'espace, de l'évaporation de ce qu'il pourrait garder de conscience ou de savoir. Il arrive qu'il s'arrête, ferme les yeux et, se laissant recouvrir du silence profond des choses, rêve finalement de désert. Il avance dans une forêt de mots. A bout de force ou vivifié, merveilleusement égaré, tout consacré à se perdre, suçotant cette dernière certitude d'être bien exactement là où il doit être. Parfaitement solidifié par l'évidence de chaque sensation, de chaque sentiment, autant que sereinement résolu à celle de sa disparition.

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