Oui, on arrive sur un souffle d’air et l’on disparaît sur un souffle d’air.
On a accusé Emily Dickinson de morbidité parce qu’elle aimait assister des mourants ; elle aimait être là à les observer, cette petite goule de génie. Elle a investi toute son énergie à scruter sur leur visage le moment du «passage» comme elle appelait ce moment de vie à trépas. C’était presque comme si elle pouvait voir quelqu’un presser le pas et sortir.
Savons-nous ce qu’elle croyait?
À la base, elle n’avait pas la foi. Comment aurait-elle pu être croyante et être Emily Dickinson ? Voici ce à quoi elle croyait : à la nécessité d’arrêter d’appeler chaque chose par son nom ; comme quand sa sœur intervient pour lui dire : « Emily, il est temps de préparer la pâte pour le pain de maman. C’est mardi, tu sais. » J’invente cette conversation bien sûr, mais c’est ce qui se passait. Et Emily se rebellait : « Non, pourquoi me donnes-tu du mardi ? Comment oses-tu dire mardi, ça me cloue, ce mardi ! Et je ne veux pas faire de pain aujourd’hui. Je veux être libre et rester assise ici dans le jardin. »
Le fait qu’on nomme les jours la rendait folle. Aucun jour, n’importe quel jour ; si nous nommons mardi... ça signifie qu’il vient après lundi, ce qui n’est pas très loin de dimanche, et la semaine est foutue. Si nous pouvions vivre de cette manière sans se dire : « Oh, encore quinze jours pour finir Brundibar, j’dois aller chez le dentiste lundi prochain» et tout ça...
Maurice Sendak
INTERVIEW
par Roger Sutton,
rédacteur en chef du Horn Book Magazine
En juillet 2003, Roger Sutton a interviewé Maurice Sendak dans sa maison du Connecticut. Une conversation sur la vie et la mort, l’ego et l’introspection, les rêves et les cauchemars, Melville, Homère et... le plancton
extrait du Pdf autour de Sendak en libre accès sur le site de l'école des Loisirs
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