8/23/2024

La suite pour violoncelle

     Il était monté dans sa chambre pour boire son thé. En janvier, vers dix-huit heures, la lumière de l’hiver était particulièrement belle et il adorait, c’était une des choses qu’il préférait faire quand il venait ici, il adorait regarder par la fenêtre les arbres piquer les rondeurs nues du ciel dans cette lumière brillante qui précédait le crépuscule. Il posa son thé sur la table et entreprit d'écouter de la musique en choisissant, pour ce moment particulièrement approprié, la première suite pour violoncelle de Johan Sébastien Bach. Dans les courbes classieuses et délicates des cordes du violoncelle qui arrondissaient encore les éclats lumineux du soleil qui se couchait, il but une gorgée de thé en s’approchant de la fenêtre pour savourer le sucre glace du paysage. La musique le portait, elle l’inspirait en rendant tout plus beau et plus accueillant. Tout était soudain devenu beau, sa chambre et les nuances du bois dans la lumière, les arbres arides dehors et le ciel et l’air froid et la buée sur sa fenêtre. Tout s’harmonisait dans les rotondités soyeuses et mélancoliques de la musique. Et même lui, même lui en arrivait à se trouver beau et parfaitement à sa place dans ce moment de grâce. La musique coulait toujours, et lui, regardait ce monde qu’il trouvait soudainement sublime et goûtait à son sublime thé dans cet instant sublime. Il admira la fenêtre, et la table, et même ce petit miroir posé dessus qui patientait dans la lumière, comme en apesanteur, et il le prit entre ses mains en rythme et avec grâce, harmonieusement, pour jouer avec les rayons qui dansaient dessus et parfaire ce moment de grâce d’un éclat ludique. La musique le caressait, et il était heureux, et il aimait ce moment et sa façon d’en profiter avec élégance, et il aimait jouer avec ce miroir en buvant son thé, il aimait faire lentement danser le miroir en face de lui et regarder son visage changer dans les nuances de la lumière. Tout était harmonieux et naturel, il se regardait sans briser la magie des notes dans la lumière, et il se regardait de plus en plus près, sans se rendre compte de rien, il ne pensait pas, il était simplement en adéquation parfaite avec ce moment, harmonieusement, sans conscience et sans recul, comme un animal en osmose avec ses instincts. Et c’est en harmonie, toujours, baignant dans la brillance crépusculaire de l’hiver, toujours, qu’il commença à attaquer avec les ongles de ses deux index un énorme comédon qu’il avait surpris sur le haut de son nez en s'inspectant dans le miroir. Et c’est en harmonie, toujours, qu’il passa aux autres points noirs qui ornaient son nez, qu’il creusa de ses ongles la peau grasse et rougie par les assauts, de ses deux narines. Et la suite de Johan Sébastien Bach continuait de s’étirer dans l’air pendant que des minuscules dizaines de boudins blancs surgissaient de son nez charcuté.

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