7/16/2024

La Solution

Il fallait une aube grise 

un grand capharnaüm d'oiseaux 
marcher avec un chien 
comme dans un melon à peine mûre 
et puis ne plus rien attendre du monde 
que l'entrebâillement 

vivre en slip
ne mener qu'une bataille 
la seule et unique qui vaille 
celle contre les bâtonnets de glace qui collent aux pieds 
ouvrir des livres au hasard
et écouter Paolo Conte ou Delgres en fumant 

le soir de temps en temps 
parmi les geckos gras et les cailloux scintillants
boire l'apéro avec Alph 





7/15/2024

Le jour ou j'ai été rescuscité par une aubergine

Cherchant désespérément
une forme de présence
une façon d'être là
pleinement
entier
ou en tout cas
moins évanescent

se reprendre 
s'arrimer au réel
agripper avec des mots

par les yeux peut être
assis dans le salon
deux carrés de fenêtre
d'un coté le soleil sur le mur
de l'autre l'ombre du tilleul
impossible d'atteindre
leurs présences absolues
sans matière
sans forme
mouvant comme des couleurs dans de l'eau

par les gestes alors
debout
pour laver une pierre
longtemps
s'abimer la peau des doigts
sur son éclat accidenté

par la nécessité de faire finalement
faire ce qu'on a à faire
en l'occurence à manger
puisque c'est l'heure
en coupant des légumes
sans vraiment prêter attention 
à la litanie de la radio

l'eau de l'évier 
la planche le couteau
la poêle qui rissole 
la présence totale 
absolue
pleine
suffisante
d'une bonne grosse aubergine
perlée de la rosée froide du frigo

tout ces mots
ces efforts 
pour se remplir
se solidifier
du soleil sur un mur
de l'ombre d'un tilleul
d'une pierre mouillée
d'une bonne grosse aubergine violette

tous ces mots ces efforts intellectuels et sensitifs
accoudés à ces gestes 
pour tenter d'atteindre
en vain
leur simple
totale
et absolue
présence

envier une aubergine

ne plus être 

un fantôme

7/11/2024

Lester Young - I Want A Little Girl

Nous habitons quelque part



Nous habitons quelque part 
nos pieds nus connaissent ce plancher 
nos yeux l'ombre des matins d'été 
nous habitons un coin de fenêtre 
une sensation de table qui colle à la peau douce sous les bras
un livre corné 
une odeur de beurre de miel et de café 
les silhouettes familières d'un vieux buffet dodu d'une balance de cuisine d'une branche de romarin qui sèche 
nous habitons l'allure de cette panière à fruits près d'une bouteille bleue et d'une figurine oubliée là 
tout est bien présent familier 
debout sur les pattes
autour de nous des objets des sensations 
des teintes des êtres des souvenirs 
tout de ce que nous sommes et de ce que nous étions 
un flux de la vie vécue qui se serait condensé
pour être ici en ce Point précis du temps 
à la fois familier et perçu d'un œil neuf
d'un esprit débarqué comme après une absence 
un jour arrive où l'on se dit simplement ce tableau là je le connais 
il a ses voix ses parfums ses scintillements et ses silences 
ce tableau là j'habite dedans 
il est l'espace de ma vie 
de notre histoire 
du temps qui passe 
ce tableau là 
c'est chez moi

Je lis tes poèmes en ce moment

 Je lis tes poèmes en ce moment
aux toilettes le soir 
lorsque tout le monde dort
ou le matin parfois
dans la cuisine
lorsque le chant des oiseaux se mêle 
au bruit des camions de chantier
ils sont beaux et doux 
drôles et tristes à la fois
comme l'allure du dernier abricot du panier
un peu plus abimé et sucré
qui rappelle l'enfance et la fin de l'été


7/04/2024

Nous aussi

 

Le vent arrache fort
et le soleil tape dur
y a les hommes qui crient
l' agitation le bruit
les machines qui broient
les corbeaux qui ont faim
elle est sortie d'un gouffre
de plusieurs années
elle a commencé à chanter
elle a commencé à briller
à escalader Encore
elle s'accroche
 


6/27/2024

Boîtes




 Mes poèmes sont des boîtes
et mes boîtes des poèmes
j'y pose ce que je trouve
n'y trouve jamais ce que je cherche
accumule les éclats incongrus
les beautés anodines
des morceaux de souvenirs
des raretés méprisées
des merveilles de la nature
une pierre en forme de zizi



6/21/2024

Voodoo style

 


Après avoir dédié la première moitié de sa vie 
à tenter de transformer ses actes en incantations 
il décida de consacrer la seconde 
à transformer ses incantations en actes

 

6/19/2024

Les derniers jours de juin

 Les derniers jours de juin
l'immense Tilleul habillait tout

le jour de son ombre
la nuit de ses parfums
qui semblaient monter jusqu'à la lune

pendant que les abeilles 
s'endormaient repues
étrangères à la solitude
nous pauvres bêtes idiotes
rêvions à autre chose

oubliant d'être là
dans la belle allure
les costumes capiteux
d'or et d'émeraude
du monde qui donne tout 
et n'attend rien

6/18/2024

Ce jour, comme toujours ...


 

Ce jour, comme toujours, il fut question de trouver un refuge, un exil, la possibilité d'une émergence. De réunir à nouveau les chances d'une apparition, l'honnêteté d'une brèche, un souffle, même minime, même légèrement grotesque. Quelque soit les moyens, là était la mission de chacun. D'y parvenir n'était pas véritablement la question. Un instant au moins il ne serait plus seul. Puisque le désert avançait, inéluctable, et la totalité des couleurs avec lui.

 


6/08/2024

2024.01.06 | Thomas Vinau, que pourrais je vous donner de plus grand que...

 

Je tombe ce soir, dans la lourdeur d'un pré orage de juin, sur cette lecture de Francois Bon du Récit des gouffre. Ce dispositif tellement entier de lecture impro, de cueillette, de récit de soi, de réflexion sur le travail d'écriture, de clins d'oeil, ce temps offert totalement à l'autre, le lecteur, l'écrivant d'atelier, l'écrivant du livre, l'auditeur ; je trouve que c'est un sacré cadeau, une fraicheur de gouffre sur l'étouffante lourdeur d'un pré-orage, une pluie fine dans ma nuit, alors merci !

Charlie Parker


 

5/30/2024

Epitaphe à l'imparfait du subjonctif




Il eut aimé
en digne ébouli
qu'une Ruine-de-Rome
le recouvrît

(à défaut 
que vos pensées
en fleurissent
ses fissures)




Enfermé dehors

(Aaron Siskind, 1935.)


 Tu pars triste
je te laisse partir triste
et me voilà misérable
démuni
impuissant
incapable de me porter à ton secours
incapable de traverser ta peau
ton crâne tes os
de faire en sorte 
que tu ne sois plus seul
à l'intérieur de toi
c'est donc ça aimer quelqu'un
le laisser partir triste
en restant enfermé
à l'extérieur
de son coeur

5/28/2024

Un petit mot

(Grande barrière de corail, Australie, 1950. Fritz Goro, le photographe, a déclaré que le petit oiseau attendait que ses parents reviennent avec de la nourriture)
 

Un petit mot
un mot tout neuf
ébouriffé 
tremblant
qui a faim 
et qui sent

5/25/2024

Dans ma nuit

 Au fond de moi 
il y a un trou
au fond du trou
il y a une grotte
au fond de la grotte
il y a un puits
au fond du puits
il y a un nid
je vous vois de là
je vous vois de loin
flous et vacillants
comme la mèche
 d'une bougie
vous étincelez 

Tom Waits - "All The World Is Green"

5/22/2024

Chaque matin

 

 Chaque matin

Elle boit le ciel noir et trempe 

des tartines de guerre dans du miel 

Ne reste qu'à se taire et écouter ...

 




Ce que la planche à découper toute amochée qui sèche au dessus de l'évier insiste à lui dire ne l'enchante guère. Pas plus que la confidence de l'arrosoir au plastique décoloré par trop de soleil renversé sur la terrasse. Ce n'est pas l'écuelle souillée du chien ou la théière pleine de calcaire qui lui raconteront le contraire. Ni le verre d'eau à moitié vide depuis longtemps, ni les germes surgissant de l'oignon ou des patates trop vieilles oubliées derrière le grillage rouillé du garde-manger, le médaillon d'or pourri sur la pomme talée. Les motifs effacés de la nappe restent silencieux, comme les traces sur les carreaux de la fenêtre qui laissent deviner le souffle goudronné du vent dans une sorte de ciel. Un instant, l'espace d'une brouillardeuse bénédiction, il a pris pour le bouillonnement tout cru d'un fleuve ou d'une rivière musclée par l'orage, l'éructance aigre et régulière de la rumeur des voitures sur la nationale. Et c'est le tic-tac de l'horloge qui une nouvelle fois pérore à qui mieux mieux comme le dindon au plus grand goitre. Bien sûr, comme d'habitude, c'est elle qui gagnera. Ne reste qu'à se taire et écouter tout ce que le matin ne dit pas. Il ferme les yeux et il voit. Des pieds de la taille d'une petite cuillère en argent qui trotteront, qui trotteront, sur le carrelage froid. Une femme nue, ni tout à fait une autre ni tout à fait la même, dans la buée d'une salle de bain. Un gamin récalcitrant qui trainera jusqu'à midi avec son chien. Un bout de chocolat planté dans une banane, des oiseaux qui ont faim et dans l'ombre oubliée, derrière la maison, un parterre de pâquerettes prêtes à s'ouvrir pour rien. Bienheureux souverain, celui qui choisi son vacarme.

"Il y a des larmes dans les choses..." Virgile

 "Sunt lacrimae rerum et mentem mortalia tangunt" 


(
Il y a des larmes dans les choses qui touchent le coeur des mortels)


"Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?"

 



Nos histoires se posent en poussières sur les choses
sans violence
sur nos silences
elles brillent




5/15/2024

La pluie




*
*
*
Ce qui est beau dans la pluie c'est la pluie
*
Les pieds après la pluie sont encore de la pluie
*
La pluie est une forme de justice.
*
*
*











 

5/11/2024

Saleté de vie

Vivre c'est salissant
on se fout des émotions partout
les rêves sèchent vite aux coins des yeux
et les toxines dans le sang
et la terre sur les genoux
les cheveux graissent et la peau sèche
les idées sentent le renfermé
ça fouette là dedans
la crasse s'accumule entre les orteils
entre les dents et les non-dits
on a les ressenti qui sentent
et ça moisi sous les soucis
vivre c'est cradissant
il faut savoir de temps en temps
se nettoyer avec ce qu'on trouve
des mots des mains des écorces de citron
tout balancer et astiquer
racler le goudron du néant
même les roses ont des recoins
qui schlinguent  la mort
la suffisance la méchanceté
ça poque aussi l'ignorance
l'argent c'est dégueulasse
mais pas plus que la misère
on sue en agitant les bras
on s'agite on se démène 
ou alors on pourri sans bouger
dans les deux cas faut du savon
et puis de la pluie et du vent
et puis de l'amour cent pour cent coton
et un exfolient de folie
moi j'avale tout ce qui passe
la fumée la rosée
les larmes des pierres
les rires qui se perdent dans le brouillard
la chanson des bêtes qui se pénètrent
le doute des monstres et la peau des fruits
les plaintes les bruissements les armes
les larmes d'oignon et les espoirs d'enfants
j'avale tout pour me laver du vide
c'est difficile à digérer
j'en pète c'est compliqué
c'est pas toujours joli joli
un gros bébé qui joue
dans le caca-pipi de la poésie
là où ça pue y a de la vie
mais là où y a la mort ça pue aussi
bref vivre c'est salissant c'est vrai
c'est vrai que vivre c'est salissant
c'est ça l'ici et le maintenant
mais y a plus sale que le sale d'ici
y a le sale de jamais
le sale des regrets
le sale des pourtant
les sales coups et le sale final
finalement ce n'est pas si grave
d'avoir les mains sales
tout dépend avec quoi et qui on se salit