(sur le site de Marie Alloy je trouve cet autoportrait)
Pas de grandiloquence,
ni de superlatif dans les mots d'Antoine Emaz. Ça n'irait pas avec
l'objet. Il travaille le peu avec peu. Taille au couteau. Écope.
Rabote. Petits copeaux de mots qui glissent aux pieds du monstre. Il
dit l'essence et l'essentiel, le mur de vivre, avec l'arme de chacun,
de tous les prisonniers que nous sommes. Il creuse le tunnel, jour après jour, à la cuillère. Il est la cuillère, usée, affutée et
coupante. Il est le lierre, le lichen, l'épine. La force des
fissures. Il est l'écharde et le chardon.
" Ce monde est sale de bêtise, d'injustice et de violence ;
à mon avis, le poète ne doit pas répondre par une salve de rêves
ou un enchantement de langue; il n'y a pas à oublier, fuir ou se
divertir. Il faut être avec ceux qui se taisent ou qui sont réduits
au silence. J'écris donc à partir de ce qui reste vivant dans la
défaite et le futur comme fermé. S'il n'est pas facile d'écrire
sans illusion, il serait encore moins simple de cesser et supporter
en silence. Donc... J'aime à penser la poésie comme un lichen ou un
lierre, avec le mince espoir que le lierre aura raison du mur."
Il y a
dans chacun de ses mots, de ses vers, de ses livres, l'infime qui
résiste. Ce n'est pas un combat, parce que ce serait mentir, il en
ainsi c'est toujours le rien qui gagne, la mort et le vide qui
l'emporte. Mais ce n'est pas une défaite non plus, il n'y a pas de
vaincu, parce que le poème est le mot de celui qui ne se rend pas.
Par le beau, par le vrai, par le lucide, par la tendresse sincère
des yeux sans illusion, le poème est cette toute petite chose,
insignifiante, qui résiste.
«D'une certaine
façon, ma critique du clinquant de l'image rejoint celle de
l'abstraction formelle. C'est privilégier la langue, la faire
ronfler pour elle même alors qu'à mon avis, elle devrait toujours
être subordonnée à vivre, à la tension de vivre. Il n'y a pas
plus d'au-delà de langue que d'au-delà religieux que d'au-delà
imaginaire. On est en deçà, point barre.»
Antoine Emaz, Cuisine, éd
Publipapier
Comme une main sur
l'épaule, un moineau du béton, une adventice, une ironie, un
sourire revêche, une clope, le poème est ce malgré tout qui nous
sauve tout entier pour un instant de plus. Une bouffée d'oxygène.
Un minuscule radeau. Une gorgée de vin. Une lettre d'ami. Modeste et
indispensable.
«J'en reviens toujours à ce constat simple : si un poème ne
m'aide pas à vivre, à respirer mieux, alors il vaut moins pour moi
qu'une clope ou un verre de vin rouge.»Antoine
Emaz, Flaques, éd Centrifuges
Au fur et à mesure du
temps ses poèmes ont maigris comme un homme éprouvé, jusqu'à ne
plus garder que cette braise minuscule, ce grêlon, ce petit rien qui
pèse des tonnes, ce rien qui persiste, qui tient tête au rien, cet
oiseaux qui refuse de se noyer. Il dégraisse le mensonge. Sans grand
geste, surtout sans grand geste. Sans discours, surtout sans
discours. Il est ce frère qui refuse de ne pas prendre sa part. Qui
ne lâche pas.
on voudrait
on ne lâche pas
ce sont les mains qui abandonnent
on n'a pas lâché
quand on a fini
on est lâché
et bien forcer de laisser
au bout»
Peu importe, éd
Le Dé bleu
Il y a le poids du vide,
en quelques mots à peine, en quelques mots de peine, la pluie dans
une flaque grise, le soir qui persiste, le matin des fatigues. Il
peut tout dire, l'ennuie, la mort, la maladie, la belle vanité du
monde, toutes nos zones grises, mais il les dit avec la douceur et la
légèreté d'un colibri qui vient soulager nos épaules. Avec la persévérance tranquille et discrète de l'ouvrier qui se lève
chaque matin pour faire sa part de trime, sa toute petite merveille.
"Parvenir à être dense avec
rien.
Quand on utilise peu de mots, il
faut que chacun pèse une tonne."
Antoine Emaz,
Cuisine, Publipapier
Il dit et il dira,
jusqu'au bout. Il écrira jusqu'au bout. L'ordinaire, le pas facile,
le pas grand chose, l'indispensable. Le petit vrai glacé. La flamme
de la bougie. Le pauvre poème pour la pauvre bête que nous sommes
dans le ventre jaillissant des trésors du monde.
«Être là, dans le jardin, sous
les grands arbres.
Le feuillage, vu d’en dessous, dans la lumière.
Transparence, mouvement berçant des feuilles.
Beaucoup de choses et d’événements importants
auxquels on ne fait pas attention.
Le feuillage, vu d’en dessous, dans la lumière.
Transparence, mouvement berçant des feuilles.
Beaucoup de choses et d’événements importants
auxquels on ne fait pas attention.
Dans le jardin entouré de hauts murs.»
Sauf, éd
Tarabuste
Il
dit et il dira, jusqu'au bout. Il écrira jusqu'au bout. Tout contre
l'incendie. Les limites. Jusqu'à l'ultime de sa propre limite. Et on
voudrait le consoler comme chacun de ses mots nous console.
"alors pourquoi encore écrire
si tout doit retourner à une terre battue
un petit feu de langue
au moins pouvoir marcher
et se chauffer
un peu "
III. Limite, Antoine Emaz, éd Tarabuste
(* j'ai écris cet article il y a deux ans pour le site Bookwitty qui n'existe plus à présent)
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