Le chat triste de Madame Garcia est une petite peinture à l'huile de dix-huit centimètres sur douze qui habitait sur le mur du couloir de ma grand-mère. A côté du grand miroir, en face du porte-manteau, avant l'escalier montant vers les chambres, le pan de mur crépi était orné de quatre petites peintures à l'huile joliment habillées d'un cadre de bois doré tout ce qu'il y avait de plus classique. Je me souviens d'un petit paysage automnale (que j'aimerais beaucoup retrouver), d'un portrait de femme disons hasardeux et de ce chat triste. Le quatrième je l'ai oublié, à moins qu'il n'y en ait eu que trois mais sans savoir pourquoi je reste sur l'idée de quatre. Ce n'était pas de la grande peinture mais c'était de la peinture tout de même qui, depuis que ce mur était le mur du couloir de la maison de ma grand-mère, avait été là. Il patientait dans l'ombre et nous passions devant, l'été comme l'hiver, sans la moindre attention. Je n'ai jamais vraiment su qui était Madame Garcia, dont la signature naïve et appliquée ornait le bas droit du tableau sous la patte allongée du chat triste. Une amie de la famille, une cousine peut-être, en tout cas elle venait comme mes grands-parents de la vie d'avant, de là-bas. Pendant les vacances et les week-ends où nous dormions mon frère et moi à la ferme des grand-parents, chaque soir, allumant la lumière du couloir pour monter les premières marches de l'escalier en bois, le chat triste était là. Un gros gras chat couché, tigré, à la crinière lionesque, sa patte gauche de devant, maladroitement inversée par le pinceau de la peintre malhabile était tendu vers le fils d'une balle de jeu à la perspective inexistante. Il était posé là, sur le mur du couloir de ma grand-mère, avec ses grands yeux tristes, tellement là depuis toujours et pour toujours que je ne le voyais pas. Mais le toujours n'étant jamais vraiment du toujours ; le chat triste changea en même temps que les yeux de l'enfant que je ne suis plus. D'abord je l'ignorai, puis le trouvai légèrement effrayant. Longtemps, par la suite, je m'en moquai copieusement, puis à nouveau, jeune adulte, l'ignorai royalement. A présent qu'il avait changé de mur, qu'il n'y avait plus ni mes grand-parents, ni le couloir de leurs maison, ni mon enfance, à présent que je le regardai, au dessus de mon bureau, un bon demi-siècle plus loin que Madame Garcia, je prenais soudain conscience de la douceur placide de ses grands yeux tristes. Son regard avait-il toujours était si triste et si doux ? Où avait-il fallut que mon enfance s'en fut pour que la calme beauté de la compassion cachée dans ses grands yeux doux m'accompagne ?
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