1/27/2014

société de provocation

 
"J'appelle "société de provocation" toute société d'abondance et en expansion économique qui se livre à l'exhibitionnisme constant de ses richesses et pousse à la consommation et à la possession par la publicité, les vitrines de luxe, les étalages alléchants, tout en laissant en marge une fraction importante de la population qu'elle provoque à l'assouvissement de ses besoins réels ou artificiellement créés, en même temps qu'elle lui refuse les moyens de satisfaire cet appétit. Comment peut-on s'étonner, lorsqu'un jeune Noir du ghetto, cerné de Cadillac et de magasins de luxe, bombardé à la radio et à la télévision par une publicité frénétique qui le conditionne à sentir qu'il ne peut pas se passer de ce qu'elle lui propose, depuis le dernier modèle annuel "obligatoire" sorti par la General Motors ou Westinghouse, les vêtements, les appareils de bonheur visuels et auditifs, ainsi que les cent mille autres réincarnations saisonnières de gadgets dont vous ne pouvez vous passer à moins d'être un plouc, comment s'étonner, dites-le-moi, si ce jeune finit par se ruer à la première occasion sur les étalages béants derrière les vitrines brisées ? Sur un plan plus général, la débauche de prospérité de l'Amérique blanche finit par agir sur les masses sous-développées mais informées du tiers monde comme cette vitrine d'un magasin de luxe de la Cinquième Avenue sur un jeune chômeur de Harlem.
J'appelle donc "société de provocation" une société qui laisse une marge entre les richesses dont elle dispose et qu'elle exalte par le strip-tease publicitaire, par l'exhibitionnisme du train de vie, par la sommation à acheter et la psychose de la possession, et les moyens qu'elle donne aux masses intérieures ou extérieures de satisfaire non seulement les besoins artificiellement créés, mais encore et surtout les besoins les plus élémentaires." Romain Gary, Chien Blanc

3 commentaires:

Vincent a dit…

comment s'étonner, dites-le-moi, si ce jeune finit par se ruer à la première occasion sur les étalages béants derrière les vitrines brisées ?

Non, c'est vrai, ça ne m'étonne pas, en effet l'homme est souvent prêt à tout pour posséder, le jeune comme le vieux et quelque soit d'ailleurs la couleur de sa peau, il suffit d'observer des enfants à peines sortis du sein maternel pour s'en convaincre. Dans les bacs à sable on est capable de s'arracher un œil pour un râteau en plastique. Alors quoi, on interdit à ceux qui veulent être riche d'être riche ? On interdit au bambin d'emmener son râteau au parc ? On contraint, ça revient à la mode, les enfants scolarisés à porter des uniformes pour masquer les différences sociales ? Tout cela reviendrait à sacrifier la liberté sur l'autel d'une égalité de pacotille qui consisterait à avoir la même bagnole ou presque, le même téléviseur 120 cm ou presque, le même téléphone portable ou presque, le même vêtement pour aller à l'école, même pas ou presque... . Il n'y a d'égalité enviable que celle des hommes devant les lois de la république dont celles qui protègent la propriété. Ainsi d'aucuns vont au parc avec un râteau et tracent des sillons dans le sable devant tout un chacun qui voudrait lui aussi posséder un tel outil pour faire ou pas la même chose, ainsi d'autres nous rabâchent à la télé entre deux épisodes des feux de l'amour qu'il faut acheter une de ses poubelles à quatre roues pour être heureux, d'autres se baladent rayonnant de bonheur dans cette fameuse poubelle mobile indifférents à ceux qui à genoux, la main tendue, le regard implorant, réclament à manger, d'autres enfin donnent tout ce qu'ils possèdent à ces derniers (c'est le cas de le dire si on les situe dans l'échelle de l'opulence !) et vont mendier à leur tour considérant que la pauvreté est une richesse... Beaucoup ont laissé leur peau pour pour une telle société en débarquant par exemple il y a soixante dix ans sur les plages de Normandie, honneurs leurs soient rendus. Je dis vive ce que Romain Gary appelle "la société de provocation."

Vincent a dit…

http://m.youtube.com/watch?v=Jw92vyVZwdA

Vincent a dit…

Je préfère celle-là finalement, la colère est plus présente.

http://m.youtube.com/watch?feature=kp&v=bhGNdbqLYw8