7/06/2014

"Ces riens finissent par faire quelque chose" - Juste après la pluie par Antoine Emaz - CCP n°28


"Ces riens finissent par faire quelque chose"

C'est insignifiant un poème
C'est grotesque comme un mot
Inutile comme un humain
Fragile comme un regard
Clopinettes d'éclats
Mais quand il y a le partage
Alors là ...!

3 commentaires:

HK/LR a dit…

"on va prendre un verre de vin
et faire comme si de rien"

derniers vers de "Rien, l'été" d'Antoine Emaz (ed. La Porte 2010)

Vincent a dit…

Encore un poème qui tombe à pic comme l’homme d’une série Tv. Hier je me suis rendu chez un de ces poètes qui trouvent la beauté où on ne l’attends pas toujours, chez son voisin paysan par exemple qui n’avait qu’une vache et qui a été contraint de la faire abattre étant devenue douloureuse à force d’être veille. En une dizaine de clichés, quelques commentaires et un choix de musique particulièrement judicieux, il nous fait vivre à travers un diaporama toute l’émotion de ce moment assez banal au premier abord. Il nous montre ce que nous ne voyons pas, parce que nous ne sommes pas suffisamment attentifs aux petites choses qui font les poèmes. Là il s’agit de l’expression d’un visage, d’une manière de porter sa tête, de se tenir assis… et l’émotion apparaît, nous réalisons qu’il se joue un drame pour cet homme, qu’une fois l’animal dans la remorque qui l’emmène à l’abattoir plus rien ne sera pour lui comme avant. C’est beau comme une peinture de Manet représentant une scène de la vie paysanne sauf que ça n’est pas de la peinture, ça n’est même pas seulement de la photographie, c’est de la photographie accompagnée de mots sur un fond musical. Qu’est ce que j’ai pu me faire chier devant des diaporamas mais là je m’en suis enfiler trois dans l’après-midi. L’autre portait sur des photographies de pierres qui se trouvent dans une carrière à quelques coups de pédales de chez lui où il a passé plus de trente ans à dénicher des merveilles d’images, s’y rendant selon la lumière parfois plusieurs fois dans la journée. Pour la petite histoire les pierres qu’il photographiait étaient destinées à servir de soubassement aux routes… Il ne peut plus maintenant allé les photographier le poète à cause de la vieillesse mais il s’en fout Prosper DIVAY, il a 92 ans mais il ne s’emmerde jamais m’a t’il confié car il continue à faire des diaporamas avec ses images d’archives. Je me suis intéressé à Prosper parce qu’une personne de sa famille qui connaissait mon goût pour la poésie m’a prêté un de ces diaporamas qu’il a consacré à René Guy Cadou. Prosper est un fervent amateur de son œuvre. J’ai mis quinze jour avant de le mettre dans le lecteur DVD, pas du tout emballé par son visionnage mais la veille de le rendre, un peu avec le sentiment de l’obligation par rapport à la personne qui me l’avait confié. Je me suis donc décidé à le regarder en faisant du repassage pour ne pas gaspiller mon temps. J’ai eu vite fait de laisser le linge pour profiter pleinement du travail du poète, j’ai fini par me le repasser (le diaporama, pas le linge !) trois fois en faisant des retours lents avec la télécommande à certains moment car je n’étais pas assez rapide pour prendre note de ce qui m’intéressait. Le truc qui m’a fait décrocher mon téléphone pour lui proposer de nous voir, c’est ces vers qu’il a mis en exergue dans ce diaporama consacré à René Guy Cadou,
A genoux dans le lit boueux de la journée
Je racle le sol de mes deux mains
Comme les chercheurs de beauté
convaincu qu’avec quelqu’un qui était sensible à ces mots, nous aurions toujours quelque chose à nous dire.

Suite a dit…

L’après-midi même j’étais chez lui à deux heures de bus de chez moi et très peu de mots ont suffit pour nous comprendre, ces trois vers de Cadou ont scellés dès l’entame de notre rencontre notre entente. Il a fait ainsi plusieurs diaporama, je ne saurais dire combien, il semblait en avoir une dizaine dans la pile qu’il a posé sur sa télévision. Je garde en tête les dernières images du dernier qu’il m’ai présenté. Il avait été par hasard près d’une forêt que les flammes ravageaient. Les premières images sont celles de flammes qui dévorent la végétation. Une épaisse fumée noir s’en dégage. C’est un spectacle de désolation. C’est le seul moment dépourvu d’accompagnement musical de tous les diaporamas que j’ai visionné dans l’après-midi. La gravité a soudainement envahie la pièce, les images du carnage ont défilés dans un quasi-silence. Seul après un long moment de silence son commentaire de la vision d’un arbre se consumant sous ses yeux, "Je fus témoin de sa mort. Ce n’était pas un arbre qui mourait. Sur son visage je lus le dernier spasme de souffrance. Croyez-moi ou non, c’est un être humain qui s’éteignait. J’en fut tout bouleversé" puis une petite musique, légère comme le printemps est revenue. Les dernières images qui se sont imprimées dans ma mémoire donc, sont celles de gros plans sur le tronc de cet arbre carbonisé, d’un noir brillant, d’un noir éclatant, étincelant même d’où sortait deux minuscules pouces de fougères d’un vert très tendre. Je crois qu’il a appelé ce chapitre "résurrection". Il m’a confié avant que je ne parte que sa sensibilité à la beauté allait s’accroissant.
Le diaporama qu’il prépare porte sur la rivière qui traverse sa ville, l’Oust.
Ô l’épée nue du fleuve
Traçant son chemin de lumière
Dans la fosse noire de la vallée !
Ô Oust descendant dans la forêt
des origines !
La nuit que tu revins fut comme un plein jour !
Les astres tombaient dans un clapotis d’ailes !
En partant, tu m’ouvris la porte de la forêt !
Les nuages roses qui allaient se coucher
C’était le fond de la vallée qui s’éternisait
Entre deux rives noires plantées d’arbres !
Oh ! ma rivière d’Oust comme tu l’as aimé
ton voyage !
Oh ! La couleur des brises circulant
sur les eaux calmes !
Oh ! la paix que la lavandière a laissé
sur les bords du halage
Après avoir effacée les péchés du monde !
Prosper DIVAY

Oh ! qu’il est bon de passer une après-midi autour ce riens qui finissent par faire quelque chose.