J'ai l'impression que j'ai un des plus grands livres du monde entre les mains !!!
le début :
"Dévalant le versant ouest de la chaîne côtière de l’Oregon... viens
voir les cascades hystériques des affluents qui se mêlent aux eaux de la
Wakonda Auga. Les premiers ruisselets -caracolent comme d’épais
courants d’air parmi la petite oseille et le trèfle, les fougères et les
orties, bifurquent, se scindent... forment des bras. Puis, à travers
les busseroles et les ronces élégantes, les myrtilles et les mûres, les
bras cascadent pour fusionner en ruisseaux, en torrents. Enfin, au pied
des collines, émergeant entre les mélèzes laricins et les pins à sucre,
les acacias et les épicéas – et puis la mosaïque vert et bleu des sapins
de Douglas –, la rivière en personne franchit d’un bond cent cin¬quante
mètres... et là, regarde: voici qu’elle prend ses aises à travers
champs.
Vue de la grand-route en surplomb du rideau d’arbres, elle est d’abord métallique comme un arc-en-ciel d’aluminium, un long copeau d’alliage lunaire. De plus près, elle se fait organique, vaste sourire liquide aux gencives hérissées de pilotis brisés et pourrissants, l’écume aux lèvres. D’encore plus près, elle s’aplanit pour devenir fleuve, aussi plate qu’une rue, grise comme du ciment et tout entière faite de pluie. Aussi plate qu’une rue tout entière faite de pluie, même au plus fort de la saison des crues, en raison d’un chenal si profond et d’un lit si érodé: nul bas-fond pour créer des rapides refluant à contre-courant, nul rocher pour agacer sa surface... rien qui indique le mouvement sinon les grumeaux d’écume jaunâtre tourbillonnant au vent dans leur dérive vers la mer, et les troncs dressés de bosquets noyés que le flot noir et silencieux fait ployer, tendus et tremblants.
Une rivière lisse, d’apparence calme, qui dissimule le cruel biseau de son courant sous une surface lisse... apparemment calme.
La grand-route longe sa rive nord, et les corniches, sa rive sud. Aucun pont ne l’enjambe sur ses quinze premiers kilomètres.
Et pourtant, là-bas, côté sud, une vieille bicoque à un étage repose sur une structure bigarrée de métal enchevêtré, de bois, de terre et de sacs de sable, tel un échassier emplumé de bardeaux, fièrement assis dans l’enchevêtrement de son nid. Regarde...
La pluie passe en nappes devant les fenêtres. Elle se mêle à la fumée vaporeuse qui monte d’une cheminée de pierre moussue vers un ciel en pente. Le ciel ruisselle de gris, et la fumée, de jaune mouillé. Derrière la maison, là-haut à l’orée broussailleuse de la montagne, ces couleurs se fondent dans la masse venteuse si bien que le coteau lui-même dégouline d’un vert boueux.
Sur la rive nue entre le jardin et le bord bourdonnant de la Wakonda, une meute de chiens piétine sans répit, gémissant d’une frustration froide et brutale, couinant et aboyant après un objet qui pendouille hors d’atteinte, qui s’entortille et se détortille au-dessus de l’eau, se balance, roide, au bout d’une ligne nouée à l’extrémité d’une grande perche en bois de sapin qui dépasse d’une fenêtre à l’étage de la maison.
S’entortillant puis, après un temps d’arrêt, se détortillant dans les bourrasques de pluie, à deux ou trois mètres au-dessus du flot rapide, un bras humain, attaché par le poignet (rien que le bras, regarde bien) et déchiqueté à hauteur d’épaule, exécute des pirouettes compliquées, comme mû par une danseuse invisible devant un public fasciné (rien que le bras, qui tourne, là, au-dessus de l’eau)... spectacle à l’intention des chiens sur la rive, de cette satanée pluie, de la fumée, de la maison, des arbres et de la foule qui crie, excédée, depuis l’autre côté de la rivière: «Stammmper! Va pourrir en enfer, Hank Stammmmmper!»
Et à l’intention de tous ceux qui auraient envie de regarder."
Vue de la grand-route en surplomb du rideau d’arbres, elle est d’abord métallique comme un arc-en-ciel d’aluminium, un long copeau d’alliage lunaire. De plus près, elle se fait organique, vaste sourire liquide aux gencives hérissées de pilotis brisés et pourrissants, l’écume aux lèvres. D’encore plus près, elle s’aplanit pour devenir fleuve, aussi plate qu’une rue, grise comme du ciment et tout entière faite de pluie. Aussi plate qu’une rue tout entière faite de pluie, même au plus fort de la saison des crues, en raison d’un chenal si profond et d’un lit si érodé: nul bas-fond pour créer des rapides refluant à contre-courant, nul rocher pour agacer sa surface... rien qui indique le mouvement sinon les grumeaux d’écume jaunâtre tourbillonnant au vent dans leur dérive vers la mer, et les troncs dressés de bosquets noyés que le flot noir et silencieux fait ployer, tendus et tremblants.
Une rivière lisse, d’apparence calme, qui dissimule le cruel biseau de son courant sous une surface lisse... apparemment calme.
La grand-route longe sa rive nord, et les corniches, sa rive sud. Aucun pont ne l’enjambe sur ses quinze premiers kilomètres.
Et pourtant, là-bas, côté sud, une vieille bicoque à un étage repose sur une structure bigarrée de métal enchevêtré, de bois, de terre et de sacs de sable, tel un échassier emplumé de bardeaux, fièrement assis dans l’enchevêtrement de son nid. Regarde...
La pluie passe en nappes devant les fenêtres. Elle se mêle à la fumée vaporeuse qui monte d’une cheminée de pierre moussue vers un ciel en pente. Le ciel ruisselle de gris, et la fumée, de jaune mouillé. Derrière la maison, là-haut à l’orée broussailleuse de la montagne, ces couleurs se fondent dans la masse venteuse si bien que le coteau lui-même dégouline d’un vert boueux.
Sur la rive nue entre le jardin et le bord bourdonnant de la Wakonda, une meute de chiens piétine sans répit, gémissant d’une frustration froide et brutale, couinant et aboyant après un objet qui pendouille hors d’atteinte, qui s’entortille et se détortille au-dessus de l’eau, se balance, roide, au bout d’une ligne nouée à l’extrémité d’une grande perche en bois de sapin qui dépasse d’une fenêtre à l’étage de la maison.
S’entortillant puis, après un temps d’arrêt, se détortillant dans les bourrasques de pluie, à deux ou trois mètres au-dessus du flot rapide, un bras humain, attaché par le poignet (rien que le bras, regarde bien) et déchiqueté à hauteur d’épaule, exécute des pirouettes compliquées, comme mû par une danseuse invisible devant un public fasciné (rien que le bras, qui tourne, là, au-dessus de l’eau)... spectacle à l’intention des chiens sur la rive, de cette satanée pluie, de la fumée, de la maison, des arbres et de la foule qui crie, excédée, depuis l’autre côté de la rivière: «Stammmper! Va pourrir en enfer, Hank Stammmmmper!»
Et à l’intention de tous ceux qui auraient envie de regarder."
2 commentaires:
Je ne sais pas ce qu'il a acheté le gars mais ça a du lui coûter cher pour qu'il y laisse un bras!
Sinon, c'est à la fois poétique et prenant sur le plan de l'histoire, on à faim de sang... euh pardon de savoir la suite.
Yes !
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