10/31/2019

Ce goût qu'il reste à la fin

Je regarde la vie comme un album jauni. Il y a de la chaleur et du sucre. Un tapis et des gâteaux. Mes yeux se perdent dans les volutes bleutés d'un écran d'ordinateur, souvent je me réveille comme ça, à faire rouler la roulette de la souris, à cliquer pendant que le jour se lève et que le café refroidi. Et puis voilà que je relève la tête, je la tourne plutôt, c'est comme de ne plus regarder dans les yeux le serpent du livre de la jungle, je tourne la tête, me redresse sur ma chaise et je regarde autour de moi. Je regarde ma vie. L'automne par la fenêtre, le toboggan trempé, la pluie qui fait briller le gris et puis cette drôle de mésange avec son bonnet rouge posée au bord du cendrier. Les traces de pas sur le sol, la lampe et les livres, les plantes qui baissent les bras. La lumière sur le crépi et les flammèches du bois. Les épis des enfants allongés sous une couverture en train de regarder un dessin animé. Je m'attarde sur les dessins et les photos qui parsèment les murs. Je m'attarde sur leurs doigts sales et les taches des pyjamas. Je m'attarde sur le petit déj qui refroidi sur la table basse, sur les jouets et les crottes de lapin qui traînent. Je m'attarde sur le bordel de ma femme, le linge, le sac, les lunettes, les papiers éparpillés sur la table. Il y a là la photo d'un bébé qui venait de naître, il a dix ans aujourd'hui. Et sur mon bras le dessin d'un autre petit bonhomme qui a grandi. Je laisse trainer mes yeux sur tout ça. Je m'attarde. Nous sommes le dernier jour d'Octobre. Novembre pour moi a la couleur des graviers du cimetière où reposait mon père qu'il fallait visiter lorsqu'on était petit. Et puis la saveur des vacances chez les papis et les mamies. C'est très doux et un peu triste aussi. Depuis je regarde la vie comme un album jauni. Il y a de la chaleur et du sucre. Un tapis et des gâteaux. C'est comme quand on arrive à la fin du bonbon. On avale la dernière petite boule après l'avoir laissée fondre le plus longtemps possible avec la langue. Ce goût qu'il reste à la fin. Je vis dans ce goût qu'il reste à la fin. Je veux le garder longtemps. J'y habite. j'y écris.

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