1/15/2020

La beauté quelle enculade - Extrait de Fin de saison (à paraître en 2020...)


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Un rayon, ou presque. Un minuscule rayon qui traverserait les nuances grises de la décomposition galactique, pourfendrait l'espace et le temps, le vide et le néant, la souillure et la destruction pour créer les couleurs. Et voilà qu'un arc en ciel s'invente ou qu'un jour se lève. L'aube putain, c'est incroyable. Ces milliers de vapeurs de nuances. Ces mailles d'éclats célestes. Ces mécaniques dansantes de nuages et de lumières. Combien de colories dans une aube ? Combien de chefs-d’œuvre dans une aile de papillons. Et à chaque fois ça marche. Chaque putain de jour ça marche. On lève la tête du bidet sans faire exprès et nous voila ébahi, ragaillardi, conquis et conquérant, combattant, consentant. Exister ? oui merci, tu rigoles, regarde moi ça comme c'est beau ! Le jour se lève, j'ai la dalle, c'est parti mon kiki. C'est bien conçu cette saloperie. La beauté, quelle imposture suprême, Nom de dieu, quelle dégueulasserie de merde. Faut vraiment être une putain de bestiole dégénérée pour se faire avoir à chaque fois par ce genre de carotte. Comme si un asticot en train de gigoter dans une charogne se disait Ho mais c'est magnifique ! C'est de toute beauté ! La mort aussi goupille ses sublimes paysages. Un champ de bataille givré au matin ça a de la gueule. La lumière qui traverse les cadavres figés par la glace c'est pas dégeu. Et je suis sûr que des aurores incandescentes se sont levées à un moment ou à un autre sur Auschwitz. La beauté quelle enculade. Et pourtant. Un rayon, ou presque. Un sourire. Un souvenir. Un tableau. Il reste deux pour cent de batterie. Le téléphone va s'éteindre. De toute façon il n'y a pas de réseau. Ce n'est pas de perdre la possibilité d'entrer en contact avec l'extérieur qui me trucide le coeur. C'est cette image en fond d'écran sur laquelle j'use mes dernières larmes. Leurs silhouettes à contre jour sur la plage, le clair obscur de leur peau, la mer en argent. Le soleil allait se coucher, nous étions les derniers et le sable était chaud. Je m'étais dis c'est beau, s'ils gardent la beauté de ce moment en eux toute leurs vies, alors ils seront sauvés pour toujours. C'est la seule chose qui peut nous sauver. Le rhum ça rend lyrique. Quelle enculade. Mais y'a rien à faire, même ici. Dans les remugles de la fin. C'est la seule chose qui m'empêche de me crever.
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