"Sans
le secours de la narration, le problème de l’identité personnelle est
en effet voué à une antinomie sans solution : ou bien l’on pose un sujet
identique à lui-même dans la diversité de ses états, ou bien l’on
tient, à la suite de Hume et de Nietzsche, que ce sujet identique n’est
qu’une illusion substantialiste […] Le dilemme disparaît si, à
l’identité comprise au sens d’un même (idem), on substitue l’identité
comprise au sens d’un soi-même (ipse) ; la différence entre idem et ipse
n’est autre que la différence entre une identité substantielle ou
formelle et l’identité narrative. […] À la différence de l’identité
abstraite du Même, l’identité narrative, constitutive de l’ipséité, peut
inclure le changement, la mutabilité, dans la cohésion d’une vie. Le
sujet apparaît alors constitué à la fois comme lecteur et comme
scripteur de sa propre vie selon le vœu de Proust. Comme l’analyse
littéraire de l’autobiographie le vérifie, l’histoire d’une vie ne cesse
d’être refigurée par toutes les histoires véridiques ou fictives qu’un
sujet se raconte sur lui-même. Cette refiguration fait de la vie
elle-même un tissu d’histoires racontées. […] L’identité narrative n’est
pas une identité stable et sans faille ; de même qu’il est possible de
composer plusieurs intrigues au sujet des mêmes incidents […] de même il
est toujours possible de tramer sur sa propre vie des intrigues
différentes, voire opposées. […] En ce sens, l’identité narrative ne
cesse de se faire et de se défaire."
Paul Ricoeur. (1985) Temps et récits III, Le temps raconté, éditions du Seuil.
2 commentaires:
La vie nait par les mots et la mort habite le silence . C’est pourquoi il nous faut continuer d’écrire , de conter, de marmonner des vers de poésie et des jurons, ainsi nous maintenons la faucheuse à distance , quelques instants .
(Jon Kalman Stefansson – D’ailleurs les poissons n’ont pas de pied - trad. de l’islandais Gallimard 2015)
« Ainsi nous ne sommes rien, ni toi ni moi, auprès des paroles brûlantes qui pourraient aller de moi vers toi, imprimées sur un feuillet : car je n’aurai vécu que pour les écrire, et, s’il est vrai qu’elles s’adressent à toi, tu vivras d’avoir eu la force de les entendre. »
Il est de Georges Bataille, « L’expérience intérieur ».
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